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BERLIN

Carte postale de Berlin

2002




Début novembre de cette année, les autorités du district de Berlin-Nord décidèrent d’établir une frontière avec le district voisin de Berlin-Sud et de construire un canal infranchissable infesté de requins entre les deux districts de la ville. Le district de Berlin-Nord entend ainsi se prémunir selon ses termes de toute la racaille en provenance de Berlin-Sud émigrant vers le Nord en vue d’un avenir riche et facile. Si Berlin-Nord dit regretter la misère et le sous-développement du district du Sud, il ajoute aussitôt que cette immigration massive met en péril non seulement sa prospérité gagnée au prix de siècles de labeur acharné mais aussi les cheveux blonds et les yeux bleus de sa population. Berlin-Nord demande d’urgence au district du Sud de prendre enfin ses responsabilités en travaillant lui-même à son propre développement. Les habitants aux yeux et cheveux noirs de Berlin-Sud dit encore Berlin-Nord doivent comprendre que c’est de leur responsabilité d’agir pour leur propre développement et qu’ils ne peuvent plus attendre passivement que le Nord ne les assiste indéfiniment.

Berlin-Sud, quant à lui, condamne cette décision en parlant d’action fascisante et raciste de repli sur soi. Le district du sud rétorque qu’il ne peut travailler à son propre développement tant que le Fond Monétaire Interallemand l’interdit de décider lui-même de ses dépenses sociales dont sa population misérable à tant besoin et ne peut pas par la même occasion établir les bases d’une démocratie solide pourtant réclamée par le Nord. Berlin-Sud ajoute que ces mesures aux conséquences sociales inhumaines imposées par le FMI au nom de la globalisation renforcent au contraire le désespoir des foules du Sud et les poussent plus encore à immigrer vers le Nord. Si globalisation il y a, pourquoi doit-elle s’arrêter à la libre circulation des individus en ne comprenant que la libre circulation des capitaux, des marchandises et des services interroge le Sud. Voilà qui est contraire au libéralisme économique, idéologie cachée derrière le terme pudique de globalisation accuse-t-il encore. Citant un célèbre écologiste qui comparait la globalisation entre le Nord et le Sud à une course entre un conducteur de Mercedez et un cycliste, Berlin-Sud conclut sa réplique en disant qu’il n’est tout simplement pas prêt à cette globalisation imposée par le Nord. Par mesure de rétorsion, les Mercedez seront d’ailleurs bannies du Sud et la plupart des Volkswagen remplacées par des vélos.

Depuis la création du canal, nombreux déjà sont les habitants de Berlin-Sud qui ont tenté de franchir illégalement la frontière entre les deux districts de la ville. Jusqu’à présent pas un seul n’a survécu aux ventres affamés des requins ou aux balles meurtrières des douaniers de Berlin-Nord.