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ESSAOUIRA

Escapade à Sidi Kaouki

2010




Sidi Kaouki



En janvier de cette année, dans la médina d’Essaouira, une petite ville sur la côte atlantique marocaine, un loueur de vélo m’accosta. Je venais, il est vrai, de jeter un bref coup d’œil à sa devanture. Aujourd’hui non mais peut-être que demain je pourrais envisager une balade à vélo répondis-je. Lui disant encore que j’éprouverais peut-être quelques difficultés à le retrouver dans les dédales des ruelles d’Essaouira, il me tendit sa carte de visite sur laquelle se trouvaient son adresse ainsi qu’un petit plan. Si j’avais pris l’habitude de dire aux nombreux vendeurs de souks qui m’avaient plusieurs fois interpellé que je pourrais réapparaitre le lendemain, je me montrai plus conséquent envers ce loueur de vélos car le jour d’après, je réapparus bel et bien chez lui.

Les dunes du Cap Sim dont parlait mon guide et situées à une quinzaine de kilomètres au sud d’Essaouira m’avaient attiré. Cependant avant de me rendre chez le loueur de vélo, je jugeai plus sage de me renseigner plus amplement. Ainsi je commençai par demander à l’hôtel mais la réceptionniste eut beau faire appel à son collègue, je ne pus apprendre grand-chose. A l’office du tourisme d’Essaouira où je me rendis par la suite, je ne pus ressortir qu’avec un petit plan de la ville qui ne m’avançait guère plus. Peu après, en guise de petit déjeuner, j’avalai deux crêpes près du port, l’endroit idéal pour humer l’air marin, admirer les vagues de l’océan et saluer les inévitables et envahissantes mouettes. Je perdis encore un peu de temps pour dénicher un endroit sympathique pour boire un thé à la menthe, endroits qui pourtant ne manquaient pas, puis retrouvai sans trop de difficultés le loueur de vélo. Plutôt que les dunes du Cap Sim, Hicham puisque tel est le nom de ce dernier me conseilla le village de Sidi Kaouki sur la côte également, un peu plus au sud que les dunes mais plus facile d’accès me précisa-t-il.

Finalement j’enfourchai le vélo non sans avoir d’abord demandé qu’il soit muni d’un cadenas et pris enfin la route vers le sud en direction de Sidi Kaouki comme Hicham me le conseilla. Vingt-cinq degrés sous un ciel bleu, un paysage de collines sec et rocailleux annonçant quelques kilomètres plus à l’est la pointe occidentale de la chaine de montagne du Haut-Atlas, une route dans un état à faire pâlir de jalousie bien des automobilistes belges et la mer à proximité, que demander de plus pensais-je.

Mais après avoir roulé une heure ou deux, je ne vis toujours pas une seule indication pour Sidi Kaouki. Je m’arrêtai un moment le long d’une plaine d’arganiers et jetai un coup d’œil sur mon guide et ma carte du Maroc. Après une courte hésitation, je repris le chemin vers Sidi Kaouki et laissa un arganier, cette arbre typique de la région dont on fabrique de l’huile à partir de ses fruits se faire envahir par quelques chèvres. La journée avança et je ne cessai de me demander si la lumière du jour n’allait pas me manquer pour rentrer dans de bonnes conditions à Essaouira. Reprendre cette route dans l’obscurité serait bien trop dangereux pensais-je. Quelques minutes plus tard, je vis une bifurcation vers la droite indiquant Sidi Kaouki. Soulagé je pris sans hésiter la direction du village mais lorsqu’un peu plus tard, je vis que quinze kilomètres me séparaient encore de la plage, je m’inquiétai à nouveau. Je poursuis malgré tout, profitant de la descente pour accélérer. La mer était devant moi, il ne s’agissait plus que de descendre. Comment reviendrais-je était une autre question mais bientôt la plage s’offrirait à mes yeux me dis-je.

Au moment où la vue de l’océan se rapprochait de plus en plus, si j’étais content d’arriver je remarquai que mon pneu avant commençait à se dégonfler. Je dus vite me rendre vite à l’évidence, le pneu avant du vélo était bel et bien en train de devenir plat, entièrement plat. Venant de passer un embranchement je me renseignai en faisant signe à une voiture quatre-quatre pour savoir si c’était bien la route pour Sidi Kaouki et s’il était possible de prendre un taxi au village. Une femme à l’accent français répondit oui à mes deux questions avant de me souhaiter bon courage.

Malgré le pneu plat, je continuai à rouler et arrivai finalement au village. J’y vis une plage immense et entièrement déserte, à l’exception de deux hommes proposant des tours en chameaux ainsi qu’une bâtisse de la Gendarmerie Nationale toute blanche. Je n’aperçus toutefois pas un seul taxi. En m’avançant un peu le long de la plage, je remarquai quelques cabanes dont une qui faisaient office de restaurant. Tout de suite le restaurateur m’invita à m’assoir. Je n’hésitai pas et commandai un tajine aux poissons. Je ne tardai bien sûr pas à lui demander s’il était possible de remonter en taxi avec mon vélo vers Essaouira.
- Oui, oui, tu peux rentrer tranquillement en bus. Oui, oui, ils peuvent emporter ton vélo. Je connais le chauffeur, je l’arrêterai me dit-il encore.

Un peu rassuré, je m’installai en ne cessant d’admirer la plage et l’océan. L’établissement était modeste mais l’emplacement permettant de déjeuner aussi près de la plage me sembla magique. Peu après un homme à la chevelure poivre et sel accompagné d’une femme et de deux jeunes hommes entrèrent. Les premiers mots et l’allure extravertie de l’homme grisonnant ne firent planer aucun doute sur son origine. Il s’agissait de Français. Il était difficile de ne pas nouer le contact tant l’espace était exigu. Je me trahis aussi.
- Ah vous êtes Belge me dit le Français en entendant mon accent. J’ai habité à Bruxelles dit-il encore, mais le vrai Bruxelles parce que lorsqu’on parle de Bruxelles… j’ai habité rue Haute.
-Bruxelles-Ville lui précisai-je. Sentant naturellement que pour me dépêtrer de ma situation, il valait mieux l’évoquer d’emblée, je racontai ce qui m’était arrivé. Sa réponse correspondait au mieux à ce que je voulais entendre.
-Ah ben je peux vous reconduire à Essaouira si vous voulez.
Sa proposition ne m’arrangeait que trop bien. Je ne me fis pas prier. Et même si quelques minutes plus tard, quelques copains du restaurateur réparèrent mon vélo je répétai au Français que j’appréciais toujours sa proposition. Remonter vers Essaouira à vélo ne me tentait guère dois-je avouer. Alain puisque tel était son prénom me dit que sa camionnette stationnait au bout du parking et avait comme numéro de département le trente-trois. Il me proposa de le rejoindre vers dix-sept heures trente.

Entre la rue haute de Bruxelles et la Skala d’Essaouira, il n’y a apparemment aucun point commun pensais-je plus tard si ce n’est peut-être qu’il s’agit tous deux de quartiers dans lesquels se trouvent pléthore de magasins d’artisanat mais à vrai dire, je n’ai pas demandé à ce Français originaire de la Gironde à en croire sa plaque d’immatriculation ce qui l’avait amené à Essaouira.

Soulagé, je terminai mon repas en rangeant soigneusement les arêtes du poisson sur les rebords de l’assiette et me dit que je pourrai à présent profiter du reste de l’après-midi pour me balader à Sidi Kaouki même. Je réglai la note sans que le restaurateur n’accepta un dirham de plus pour la réparation du pneu, repris mon vélo réparé et roula encore un peu sur la route le long de la plage. Ne voulant à tout prix pas rater Alain, mon chauffeur du jour, je m’installai près de son véhicule bien avant dix-sept heures trente et attendit tranquillement son retour en lisant les « Les Voix de Marrakech » d’Elias Canetti.

A l’heure prévue, il me reconduisit à bord de sa camionnette Volkswagen accompagné des deux jeunes hommes en roulant à vive allure en direction d’Essaouira. Il dut s’arrêter toutefois suite à une injonction de deux gendarmes qui comme tous les gendarmes marocains me donnèrent l’impression de sortir tout droit d’une vieille bande dessinée.
-Vous savez que la limite de vitesse est à soixante-dix sur cette route dit un des gendarmes avant de rentrer en contact par talkie-walkie avec un de ses collègues qui lui confirmait que la camionnette avait bien été flashé à plus de soixante-dix kilomètres heures.
-Bon écoutez, moi les contraventions, je ne les paie jamais répliqua le Français. D’ailleurs nous, on se connaît, non ?
Le gendarme n’insista pas et laissa le Français reprendre sa route qui une fois sa fenêtre fermée, lança comme pour clôturer l’incident :
-Je ne l’ai jamais vu ce type.

Arrivé à Essaouira, Alain déposa sa camionnette aux portes de la médina et nous primes ensemble le chemin du loueur de vélo Hicham. Le Français habitait lui aussi le quartier de la Skala et connaissait d’ailleurs Hicham. Arrivé chez ce dernier je le remerciai pour son lift et remis le vélo à l’associé d’Hicham qui en retour me rendit ma carte d’identité laissée en guise de caution.

En reprenant le chemin de l’hôtel, je me rendis compte que j’avais oublié de rendre la clef du cadenas. Je fis demi-tour mais alors que je m’y étais déjà rendu une première fois la veille, une seconde fois le matin, une troisième fois quelques minutes à peine auparavant, je ne le retrouvai pas et m’égarai dans les dédales des ruelles d’Essaouira. Cette dernière avait beau signifier « la bien dessinée » elle n’en était pas pour autant facile à appréhender pour retrouver son chemin. Cela ne devait pourtant pas être si difficile car le quartier de la Skala où se situait Hicham longeait les remparts de la ville qui eux-mêmes longeaient la côte, il fallait donc les longer en partant du port puis prendre vers la droite mais encore fallait-il savoir à quel endroit précis il fallait bifurquer. Je me trompai plusieurs fois.

Finalement j’aperçus la devanture du loueur de vélo au bout de la ruelle, je plongeai alors ma main dans la poche de mon sweat-shirt pensant y avoir mis la clef du cadenas mais contrarié, je ne la sentis pas.

Oublier de rendre le cadenas et devoir faire demi-tour pour le rendre, ne plus trouver l’endroit et une fois l’endroit retrouvé ne plus retrouver la clef que l’on pensait pourtant avoir laissé dans une et une seule poche, il y avait de quoi devenir passablement irrité. Irrité, je l’étais mais je me dis aussi que si tout cela était ennuyeux cela ne valait vraiment pas la peine de s’énerver pour si peu. Certes ce n’était pas non plus les conditions optimales pour profiter au maximum de la beauté de la médina, du blanc de ses façades, du bleu de ses volets, du rouge-ocre de ses remparts dotés de canons faisant face à la mer et qu’Orson Welles utilisa comme décor pour quelques scènes dans son film Othello. Peut-être était-ce une manière malgré tout d’expérimenter son mystère qui plutôt que se dissiper à force de fréquenter ses ruelles et impasses ne faisait au contraire que s’épaissir à chaque pas.

Je ne pus donc que rebrousser chemin une fois encore et prendre la direction de l’hôtel en tâtonnant d’un mouvement nerveux les innombrables poches de la veste. Une fois à l’hôtel, je commençai par vider entièrement la poche de mon sweat-shirt où je pensais l’avoir laissé et y trouvai tout au fond, en dessous, si mes souvenirs sont bons, du plan d’Essaouira que m’avait fourni l’office du tourisme, la clef du cadenas du vélo. Je ne sais plus si je me sentis un peu stupide, soulagé ou encore victime d’une certaine nervosité, sans doute un peu tout cela à la fois. Même si je n’en avais plus très envie, je ressortis encore de l’hôtel et pris pour je ne sais plus la quantième fois la direction de la Skala et du loueur de vélo. Cette fois, Hicham était présent et son accueil ne me fit pas regretter mon retour. Je commençai par lui rendre la clef et plutôt que de me souhaiter tout de suite une bonne soirée, lança une conversation dans laquelle nous échangeâmes quelques mots de manière bien agréable sur ma journée et ma petite mésaventure, mais aussi sur Essaouira, Marrakech, le Maroc et la Belgique. Je ne poussai cependant pas l’honnêteté jusqu’à lui dire que j’avais dû endommager sa jante suite au pneu crevé. Il n’évoqua d’ailleurs pas le sujet. En revanche, il me dit encore que si je revenais à Essaouira, je pouvais toujours le contacter si j’avais besoin d’une chambre dans un riad. Finalement, je le remerciai de sa gentillesse et lui dit au revoir.

En reprenant pour la dernière fois le chemin de l’hôtel je me fis encore aborder par un jeune homme qui me montra fièrement son T-shirt au dos duquel était inscrit « Kan ik u helpen ? » (Puis-je vous aider ?) . Il l’avait déniché dans un établissement hollandais me raconta-t-il. Il me retint ainsi quelques minutes avant qu’il ne comprenne que je n’étais pas intéressé par les substances qu’il semblait vouloir me proposer et sans doute similaires à celle de l’établissement néerlandais d’où provenait son T-shirt. Le lendemain, même s’il m’avait dit que Marrakech rimait avec Arnakech, je quittai Essaouira pour la capitale marocaine du tourisme, Marrakech.