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Au revoir Frank

2001




C’était un samedi matin magnifique du début du mois de mai. L’air était encore frais mais le ciel était si bleu qu’en se réveillant ce matin-là, Frank Derose, se mit presque à croire au printemps et à la liberté. A peine levé, il jeta un coup d’œil sur son jardin. C’est le moment de cueillir le muguet et de tondre la pelouse pensa-t-il. Depuis qu’il avait retrouvé du travail, il redécouvrait toute la valeur d’un samedi matin : dormir un peu plus longtemps, manger à l’aise quelques petits pains, siroter un café tout en relisant un article qu’il avait rédigé la veille au soir. Pendant ses longs mois de chômage, il n’avait en effet jamais pu connaître de matin aussi tranquille où l’esprit presque serein il pouvait penser petit à petit à la manière dont il remplirait son week-end. Son petit déjeuner presque terminé, il regarda à travers la grande baie vitrée de la salle à manger les muguets qu’il avait lui-même plantés et s’apprêta à en cueillir quelques uns lorsque la sonnerie de la porte d’entrée l’en empêcha. Un peu plus tard, il ouvrit la porte à un homme et à une femme tous deux vêtus de noir.
-Bonjour Monsieur, vous êtes Monsieur Derose demanda l’homme.
-Lui même, oui.
-Très bien. Nous sommes du Ministère de l’Intérieur. Je me permets de vous déranger car il est de mon devoir de vous poser quelques questions.
-Heu bien bien entrez…
L’homme et la femme s’installèrent dans le salon pendant que l’homme de l’appartement se mit à leur préparer un thé.
-Monsieur Derose, ma première question est simple. Que faites-vous dans cet appartement ?
-Heu, bien … comme vous pouvez vous en apercevoir vous-même, j’y habite.
-Très bien. Vous y habitez certes, mais est-il le vôtre ?
-Non. Mais… Ou voulez-vous en venir…
-Je veux dire, Monsieur Derose, cet appartement est très grand… luxueux même.
-Mais écoutez, c’est mon droit d’habiter l’appartement que je veux.
-Certes, mais vous habitez seul et vous avez été chômeur pendant de longs mois si je ne me trompe…
-C’est exact mais…
-Ne vous inquiétez pas à ce sujet. Nous parlerons de cela plus tard dit l’homme du Ministère de l’Intérieur en coupant presque ce que Frank Derose était sur le point de dire. Parlons d’autre chose à présent. Est-ce exact que vous écrivez régulièrement des articles pour la revue « Rouge Toute ».
-Vous en savez des choses décidément répondit-il presque fâché.
-Vous n’êtes pas sans savoir que chacun et chacune sont libres d’écrire ce que bon leur semblent. Nous reconnaissons la liberté d’expression. Seulement…
-Seulement, il y a des limites, c’est cela que vous vouliez dire… Des propos diffamatoires, injurieux, racistes sont des limites connues et encore s’il n’y avait que cela dit l’homme de l’appartement d’un ton presque enjoué.
-Pourriez-vous être plus précis, Monsieur Derose dit encore l’homme vêtu de noir.
-Si seulement j’osais vous le dire. Vous savez comme moi que l’on doit tous respecter un certain principe.
-En effet. C’est exactement là où je voulais en venir. Votre dernier article n’a pas respecté ce dernier principe.
-Oui -Et bien je le regrette profondément lui répondit-il d’un air faussement triste.
-Monsieur Derose, soyons clair. Tout le monde le reconnaît, vous êtes intelligent, brillant même. Mais… savez-vous que vous pouvez aussi vous montrer… comment dirais-je… cassant, oui c’est cela cassant, irritant, exaspérant ! C’en est trop vous entendez !!! La démocratie existe mais elle s’arrête au respect du principe que je viens d’évoquer. Et ce principe justement, vous l’avez cassé. Et dans ce cas… la sanction est claire, vous devez quitter cet appartement. Immédiatement.
-Ecoutez, le principe dont vous parlez est ridicule... ou plutôt le tabou qui règne autour de lui est ridicule. Je ne pense d’ailleurs pas l’avoir cassé. Tout au plus l’ai-je légèrement écorné dit-il d’une voix qui avait légèrement faibli.
-Ecorné ou cassé, ce sont des nuances qui n’ont aucune valeur pour nous. Je répète, quittez cet appartement au plus vite dit l’homme du Ministère de l’Intérieur d’une voix presque menaçante.

Frank Derose observa attentivement l’homme qui était en face de lui. Sa silhouette filiforme, son gros nez, sa chevelure désordonnée et ses yeux verts cachés derrière de petites lunettes le fit penser à quelqu’un qu’il avait connu sans que le moindre nom ne lui vienne à l'esprit. Gêné par cette impression qu’il trouvait si désagréable, il attendit quelques secondes avant de répondre à l’homme du Ministère de l’Intérieur.
-Mais où voulez-vous que j’aille me loger si je dois quitter cet appartement lui dit-il finalement d’une voix qui commençait à trembler.
-Dans ce cas, qu’importe, nous avons un endroit tout prêt pour vous. Vous vous y sentirez comme chez vous.

L’homme du Ministère de l’Intérieur avait à peine terminé sa phrase que la femme qui l’accompagnait menotta l’homme sans que ce dernier ne puisse offrir la moindre résistance ni même jeter un dernier regard sur son jardin. Quelques secondes plus tard, les deux visiteurs emmenèrent l’homme à l’appartement dans leur camionnette et à partir de cet instant précis Frank Derose n’existât plus que dans le souvenir de ceux qui l’avaient connu.

Réponse de F.D.