VIFSTORIES | |
QUELQUES VILLES QUELQUES HISTOIRES |
Un matin, un homme sortit de chez lui son vélo à la main et prit la direction de son lieu de travail. Il habitait le cœur d’une petite ville du centre de l’Angleterre, tellement au cœur même qu’avant même que sa porte d’entrée ne se referme derrière lui, il se trouva face à une cohue de passagers attendant leur bus. Le soir venu, cependant une opération plus délicate encore l’attendait lorsqu’il devra se faufiler encore à travers une foule compacte en train d’attendre son bus elle aussi, et parmi laquelle un usager ne manquera pas de se trouver juste devant sa porte. Il sera alors obligé une fois encore de prononcer les mots «excuse me» auquel suivra tout naturellement le mot «Oh.. sorry.» L’homme ne pouvait habiter plus près du cœur de ville car sortir de chez lui équivalait à y plonger littéralement en se trouvant comme envahi entre les usagers du bus, les passants rejoignant le centre commercial à deux pas ou la gare à quelques minutes de là ou encore les clients du pub au-dessous duquel il dormait. Chaque jour, comme malgré lui la scène de la ville et ses acteurs principaux s’offraient à lui aux premières loges et sans recul aucun.
L'homme passa ensuite devant son voisin, un des opticiens les plus anciens de la ville, un pub aux carrelages identiques à ceux de sa cage d’escaliers car faisant partie de la même terrasse, un snack au couleurs mielles et noires, les couleurs symboles de Wolverhampton la ville où il résidait, un endroit où parier puis un restaurant sur le coin pour rejoindre la Princess Street, une des nombreuses rues du centre de la ville au nom royal. Avec le Queen Square, la King Street, la Queen Street et la Princess Alley, nombreuses en effet sont les rues du centre de la ville à porter un nom royal. Ses passants, pour autant, n’ont pas tous des rentrées royales tant la question la plus fréquente que l’on risque de vous poser dans ces rues n’est pas de savoir où se trouve la gare ou le Queen Square mais si vous avez quelques sous. Quant à la Princess Street que l’homme venait d’emprunter avec ses six d’endroits où parier ou emprunter de l’argent, elle n’a pas toutes les allures d’une rue princière non plus.
Un jour, à côté de chez lui, il vit même un sans-abri dormir à même le sol, obstruant l’entrée de son voisin opticien. Deux autres fois, il remarqua encore, juste devant chez lui un homme gisant inanimé sur le sol. Sans-abris, mendiants et autres ambulances étaient pour l’homme tout comme pour chaque passant du centre de la ville un spectacle quotidien.
L’homme vivait dans le cœur de la ville aimait-il répéter entre quelques pubs, la galerie d’art, Saint-Pierre, l’église principale de la ville et quelques magasins et arrêts de bus. Il y a 150 ans, sa rue s'était faite plus belle, quelques terrasses dont celle où il résidait avaient été construites et y avaient remplacé des taudis.
Dans la Princess Street, il entra dans un magasin acheter son déjeuner après avoir déposé d’un regard inquiet son vélo à l’entrée. L’homme avait entendu trop d’histoires de vols de vélos pour ne pas en devenir paranoïaque. Alors en réglant son sandwich au comptoir il ne quitta pas des yeux l’écran de la caméra de surveillance par lequel il pouvait garder un œil sur son vélo.
Le vol de vélos est en effet aussi ancien que le vélo lui-même et les moyens de s’en prémunir presqu’autant. Un écrivain français du XIXème siècle, Alphonse Allais, avait ainsi lancé l’idée de pique-cul se composant [...] "d’une forte aiguille longue d’environ 5 centimètres et dissimulée sous la selle" [...] dont le but est de pénétrer “dans les parties les plus charnues de l’indélicat personnage.” [...] “Ah ! le pauvre, il ne va guère loin, car une pelle prochaine a bientôt fait de le livrer à la justice de son pays ! Alors, vous, après avoir remis en état inoffensif votre cruel petit instrument, vous continuez votre route par les campagnes embaumées.” [1]
Ce n’était toutefois pas les campagnes embaumées qui attendaient l’homme chaque matin sur son vélo. Son imagination le poussait cependant lui aussi à concevoir toute une série de systèmes pour bloquer une partie de l’anatomie de quiconque qui oserait s’approcher d’un peu trop près de son vélo. Se sentant terriblement maladroit il n’osait cependant entreprendre quoique ce soit en ce sens craignant trop qu’une de ses inventions ne se retourne contre lui et qu’il ne doive un jour arriver sur son lieu de travail un orteil cassé, un doigt abimé ou un œil au beurre noir sans compter l’idée bien plus effrayante encore que de devoir expliquer à ses collègues ce qui s’était passé.
Au moment de sortir du magasin, il croisa souvent un homme avec une canne et meulant des bruits bizarres descendant du bus 4 pour rejoindre, il le découvrit bien plus tard, au snack à côté de chez lui. Un matin il remarqua encore un canard moorhen aussi sec et perdu qu’un clochard alcoolique qui n’aurait pas bu une goutte d’alcool depuis trois jours. Souvent il vit aussi un autre homme avec non pas une canne mais deux pour qui chaque pas semblait relever d’un effort hors du commun et pour qui faire le tour du centre de Wolverhampton semblait une victoire de tous les jours contre l’adversité.
Il prit ensuite la Tower Street qu’il renomma la rue du pouvoir car d’un si du côté de la Princess Street se trouvait le pouvoir de consommer avec ses magasins, si du moins vous avez quelques sous dans vos poches, en face d’elle se trouvait le pouvoir judiciaire avec la Wolverhampton Crown Court. Entre les deux, tout au long de la Tower Street, la Police veillait et faisait face au pouvoir de la presse, avec le journal de la ville, l’Express and Star d’où l’homme vit encore de temps en temps sortir une personne qui à l’heure d’internet et des smartphones transportait une cabine rouge à roulette remplie de journaux à peine sortis de presse pour les vendre à quelques pas de là. Avec de telles institutions qui l’entouraient, mieux valait gagner sa croûte honnêtement et se rendre sur son lieu de travail que de de commettre le moindre larcin, même si à côté du pouvoir judiciaire avec la Wolverhampton Crown Court se trouvait le pouvoir de se déplacer avec la gare de bus avec derrière elle à quelques pas encore, la gare ferroviaire de la ville. La première couronne de la ville se terminait ainsi avec la Ring Road qui encerclait le centre ville. L’homme n’oserait jamais s’aventurer sur ce périphérique avec son vélo et s’engouffra plutôt dans un piétonnier souterrain avant de rejoindre une grande route. Nommé Bilston Road, cette dernière menait dans la localité où il travaillait.
Il ne la longea cependant que le temps d’apercevoir des concessionnaires autos, des magasins énormes vendant des lits et des matelas, des produits pour la maison, des tapis ou encore tous les matériels nécessaires pour des excursions au grand air car après quelques minutes il bifurqua vers la gauche de manière à rejoindre le Birmingham canal.
Soulagé, il se retrouvait sur un terrain qui le convenait mieux parce que tout simplement il se sentait plus en sécurité. Il lui semblait bien difficile de ne pas détester les voitures lorsqu’il roulait à vélo même s'il admettait également qu’il détestait tout autant les vélos lorsqu’il était au volant d’une voiture. Pour autant, cela ne voulait pas dire qu’une fois sur le chemin du canal, il pouvait se comporter en terrain conquis et qu’il ne devait plus faire aucun effort de tolérance. Certes les voitures étaient absentes sauf un matin où il en vit une abandonnée et carbonisée sur la berge mais il fallait encore partager l’étroit chemin avec des piétons souvent accompagnés de chien, des pêcheurs ou encore des canards mallard, moorhen ou des cygnes et des oies canadiennes particulièrement possessives lorsque l’été venu, elles ne quittent pas d’un œil ni leurs progénitures ni quiconque qui s’y approcherait.
La dernière ligne droite de son trajet avait commencé et c’est toujours avec un certain sourire qu’il pensait à ses collègues qui devaient être en train de compter le nombre de feux rouges alors que lui, se contenta d’énumérer les ponts. Sept ponts l’attendaient. Le premier tout naturellement se nommait Bilston bridge qui via une plaque … rendait hommage au transport..
Un jour il dut rebrousser chemin. A hauteur du pont Cable street, un ruban de police barrait en effet le chemin. Il demanda bien au policier si il ne pouvait pas traverser quand même, juste pour rejoindre la route mais ce n’était pas possible. Il reprit alors le sens inverse et imagina que le pire avait été commis imaginant encore qu’il allait raconter à ses collègues que ce n’était pas lui qui avait commis un tel crime. Les jours qui suivirent, il chercha alors sur internet si quelque chose de pour le moins répréhensible n’avait pas eu lieu un peu mais il ne trouva rien. Peu après cependant, il remarqua près de là, sur la rampe permettant de rejoindre la route, une gerbe de fleurs. Curieux, il s’y approcha immédiatement et y lut un petit texte écrit à la main. “Je voulais venir t’aider mais tu étais déjà parti. « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis »” (Luc 6, 37)” [2]
À sa droite entre le Bilston bridge et le Cable street bridge, des maisons sortaient de terre, puis encore un peu plus loin, entre le Ettingshall bridge et le Millfields road bridge un des derniers ponts avant qu'il ne bifurque à gauche pour rejoindre son lieu de travail, il vit également de nouvelles maisons se construire. L’aménagement du canal avait en parallèle évolué de manière formidable. Ainsi si au début, il arrivait sur son lieu de travail avec un vélo boueux tant le chemin qu’il empruntait l’était. Par après, suite à quelques améliorations, le chemin était devenu une véritable piste ou piétons et cyclistes pouvaient avancer tranquillement sans se salir les chaussures ou les garde-boues avec qui plus est, entre le chemin et le canal, un petit couloir floral bien agréable pour les yeux mais aussi utile pour les pollinisateurs, noms données aux insectes transportant des grains de pollen entre les organes de reproduction mâle et femelle.
[1] Pour cause de fin de bail/Sauvegarde des bicyclettes
[2] Ne jugez pas
-----------------------------------------------------------------------------------